Cultivons notre singularité

Le XXe siècle a tout mis en œuvre pour classifier et catégoriser les personnalités, pour les ranger comme dans des tiroirs, de façon pragmatique et apparemment logique. Le taylorisme a théorisé les spécialisations des tâches et a cherché à créer des individus interchangeables, et une organisation du travail reposant sur des typologies de talents.

Pour le philosophe Alain Denault, cela permis l’avènement de « La médiocratie », titre de son livre paru en 2015. A trop standardiser le travail, on standardise les travailleurs, au point de niveler leurs comportements, comme leurs productions ou leurs prestations. Résultat :  «L’essentiel pour l’individu consiste alors à jouer le jeu (…) c’est-à-dire à respecter « l’état de domination exercé par les modalités médiocres elles-mêmes » et à passer sous les fourches caudines du réseau dont il fait partie intégrante ».

Méconnaitre et négliger ses aspérités, sa singularité, pour rentrer dans les normes de son environnement, engendre du mal-être. Comment ne pas se sentir plein de doutes quand on n’est qu’un parmi d’autres, quand notre singularité n’est reconnue ni par nous-même ni par les autres ?

Comme le rappelait Carl Jung, « il est assez stérile d’étiqueter les gens et de les presser dans des catégories ». Les grilles de compréhension et de « rangement » amènent à nier des parts essentielles d’une personne, en l’obligeant à choisir sa case à l’exclusive de tout autre. Pourtant, pourquoi ne pourrait-on pas à la fois être comptable et développer une passion pour le bâtiment, ou la transmission d’une langue ? Ne peut-on être autant biologiste que musicien ? A la fois logique et hypersensible ?

De fait, les temps changent. Au XXIe siècle, chacun semble aspirer à découvrir et exprimer ce qu’il a d’unique et à être reconnu comme tel. Peu à peu, nous passons de l’ultra-conformisme du siècle passé à une forme d’hyper-choix, une inflation des possibilités offertes…. Mais, lorsqu’on ne se connaît pas soi-même, ce trop de choix ne vient-t-il pas cruellement souligner l’impossibilité du choix ?

Dans son livre Les irremplaçables, la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury nous alerte : « Il ne s’agit pas de devenir une personnalité, d’être dans la mise en scène de l’ego. L’enjeu est au contraire relationnel : il s’agit de se décentrer pour se lier aux autres, au monde, au sens. ». Tel est précisément l’enjeu de la méthode Aristote : permettre à chacun de mieux se connaître soi-même, d’identifier à la fois ses talents et ses ombres, pour trouver sa voie d’accomplissement, dans la relation aux autres.

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